Le théâtre, c’est avant tout un travail d’équipe. Ces ressorts permettent de mieux comprendre la magie d’une équipe qui réussit. Explications.
« Y’a d’la joie bonjour, bonjour les hirondelles, Y’a d’la joie dans le ciel par dessus les toits » ….
C’est parti pour 1h40 de spectacle …
L’action se passe fin juin 2019. Ce refrain de Charles Trenet, c’est le signe que le public est assis, que les lumières s’éteignent doucement dans la salle, et que Mira annonce le début de la représentation. Mira, notre professeure de théâtre, présente brièvement le spectacle au public. Nous, les 12 comédiens, en coulisses, savons qu’on ne peut plus reculer, ce qui déclenche un mélange d’excitation et de stress.
Au signal convenu, tour à tour, nous rentrons sur scène, pour donner vie à la dizaine de saynètes que nous avons travaillées cette saison. Des extraits de pièces contemporaines essentiellement, avec des textes drôles, émouvants, loufoques.
En coulisses, dans la pénombre, avant de rentrer sur scène, le reste de la troupe encourage les comédiens amateurs, prêts, qui se concentrent ; un petit mot, une tape amicale, une incitation à « tout donner ». Et chacun, à sa manière se prépare : certains relisent une dernière fois leurs textes, d’autres se remémorent mentalement les articulations ou répètent à l’italienne (le texte seulement sans interprétation) en attendant leur tour.
Rentrer sur scène c’est se jeter dans le vide sans parachute. Aucun support, quasiment aucun accessoire, juste des partenaires et une scène éclairée, trois murs noirs (derrière et sur les côtés) … et le « 4ème mur », c’est à dire le public face à nous. La magie vient d’un équilibre : être totalement présent tout en suivant le fil de son texte, afin de VIVRE les émotions authentiques du personnage, au lieu de les JOUER.
Et pour cela, le chemin passe par des heures de préparation en amont, de répétitions jusqu’à pouvoir réciter son texte en faisant son lit, la vaisselle ou en conduisant. Cette automatisation du texte libère la capacité de présence, de disponibilité, d’écoute de l’autre pour aller ensemble dans une direction définie à l’avance.
Les neurosciences cognitives et comportementales pour comprendre le parallèle entre la troupe de comédiens et l’équipe de professionnels liés par un projet.
L’approche neurocognitive et comportementale (ANC)* distingue 4 « gouvernances » qui gèrent les décisions dans notre cerveau. Ces 4 pilotes prennent tour à tour les quelques 5 à 6000 décisions d’une journée courante.
La première, la gouvernance instinctive guide nos décisions de survie et gère les menaces : manger, boire, dormir… et stress. Cette gouvernance cherche la sécurité. Au théâtre, les comédiens doivent beaucoup travailler individuellement pour maîtriser parfaitement leur texte, au point de pouvoir le réciter « instinctivement » tout en faisant autre chose. L’apprentissage sollicite le mode mental adaptatif puis, une fois intégrée la connaissance passe en mode mental automatique. Ils doivent également beaucoup répéter ensemble afin de maîtriser les réactions et les enchaînements avec leurs partenaires.
La seconde gouvernance est celle du grégaire. Elle prend la main dans les situations où ma relation au groupe est en jeu : elle pilote ma confiance en moi instinctive, spontanée et ma confiance spontanée en l’autre. Cette gouvernance crée un besoin de confiance et de relations. D’où l’importance pour le comédien de travailler avec les autres pour apprendre à se synchroniser et à gérer les dynamiques collectives.
La gouvernance émotionnelle gère nos valeurs, nos émotions, nos mémoires. Elle est à la base de la recherche de plaisir. Nos motivations personnelles s’expriment là. Et pour le même objectif, chacun peut être mû par des dynamiques très différentes : se dépasser, être en relation avec les autres, aller ensemble vers un but, donner du plaisir au public, chercher de la reconnaissance…
La gouvernance adaptative est sollicitée lorsque nous abordons les situations nouvelles, complexes, imprévues, avec curiosité et ouverture. Elle est à la base de notre besoin de sens et de cohérence. Sur une scène, elle aide à être totalement présent, tous les sens en éveil, pour créer voire improviser la prochaine seconde, la prochaine réplique. Un accessoire tombe, un partenaire a une absence, on rebondit avec pertinence et créativité pour inventer la suite et recoller au texte. Dans une équipe, c’est ce qui permet de s’adapter à une demande imprévue d’un client pour se l’approprier et en faire une opportunité.
Un peu moins de 2 heures se sont écoulées et notre spectacle touche à sa fin. Le spectacle n’est jamais parfait, mais il nous apporte beaucoup de joie. La joie de se faire confiance, de se mettre en danger individuellement et collectivement, de se dépasser, de se fixer un but et une échéance incontournable, de mobiliser des ressources inconnues, d’accepter les fragilités des autres, de savoir que les autres toléreront les siennes. D’additionner nos compétences, nos failles, nos engagements pour produire un objet vivant, et précieux.
Et vous, quelle est votre définition d’une belle équipe ?
#neurosciences #management #leadership